Promotion 2020, Deuxième année de participation à l’atelier Fusion

Fusion est un incubateur d’entreprises pour les verriers de la relève mis sur pied en 1993 grâce à la vision et l’audace de Susan Edgerley. La participation à l’atelier de transition est une étape déterminante pour les finissants du programme collégial offert à Espace VERRE en collaboration avec le cégep du Vieux Montréal. Pendant deux ans, ses membres bénéficient de nombreux avantages, dont la location des ateliers à prix modique, le mentorat d’affaires, ainsi que de l’encadrement pour participer à des événements de mise en marché. À ce jour, ce sont 101 verriers qui ont démarré leur carrière artistique de manière exceptionnelle grâce à Fusion.

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Le travail du verre demande de la rigueur et une maîtrise des techniques. Selon toi, que faut-il pour exceller dans le monde du verre ?

Comme dans tout domaine artisanal, pour exceller dans le travail du verre il faut beaucoup de patience car l’apprentissage technique est très long et difficile. C’est une matière qui ne laisse pas place à l’erreur si on échoue, on casse et on recommence. La persévérance est l’une des clés de la réussite. L’apprentissage du travail du verre demande beaucoup de temps, cependant le temps d’atelier est très coûteux, et il faut souvent cumuler les emplois pour s’offrir ce temps de travail si précieux et permettre ainsi une progression… C’est un domaine où “on ne compte pas nos heures”. Je dis souvent qu’être verrier n’est pas un choix professionnel mais bel et bien un choix de vie. Il faut faire beaucoup de concessions dans sa vie privée pour travailler cette matière quotidiennement. Le travail difficile du verre soufflé use le corps au fil des années. Nous travaillons avec plusieurs matières nocives et la charge physique est conséquente (mouvements répétitifs, chaleur extrême, efforts musculaires…). La discipline est également un aspect très important pour profiter au maximum du temps d’atelier qui nous est offert, ne pas répéter deux fois une même erreur, comprendre et analyser ce qui ne va pas lorsqu’on échoue, ne jamais baisser les bras, chercher la solution qui nous emmènera vers la réussite.

En résumé, je dirais qu’au sommet de la pyramide des multiples compétences qu’il faut cumuler pour exceller dans le monde du verre, il y a la passion ; une passion extrême, une passion tellement intense qu’on est prêt à vouer sa vie à cette matière magnifique pour pouvoir la dompter et avoir la chance de danser avec elle chaque jour, le plus longtemps possible.

Peux-tu nous parler de ton travail en tant qu’artiste verrier ?

L’amour inconditionnel que je porte envers cette matière me pousse à la rendre aussi séduisante que possible, mettre en valeur la beauté potentielle du verre est quelque chose de primordial dans chacune de mes créations. Exploiter au mieux la transparence, la réflexion, la forme, les jeux de lumière, la couleur, les différences de textures… Ces objectifs parfois difficiles à entrelacer sont autant de cordes à mon arc lorsque j’imagine une œuvre artistique. Il faut ensuite que je trouve la méthode qui permettra de réaliser mes idées. Puis vient la création, une danse chorégraphiée qui nécessite parfois un soupçon d’improvisation en réaction à la réalité des choses qui permet finalement la création d’œuvres uniques chargées d’émotions. Mon travail vient du cœur, est retravaillé par l’esprit, puis mis au monde par la main. Pour finir, il prend son envol et se détache de moi. J’espère qu’il sait vous montrer qu’il a été réalisé avant tout avec le cœur.

Quel est le plus grand défi que tu rencontres en travaillant avec le verre ?

La contrainte technique et la complexité à réaliser certaines choses représentent le plus grand défi que je rencontre en travaillant avec le verre. Je parle parfois de dompter le verre car il faut l’asservir pour en faire ce que l’on veut, mais ce n’est pas totalement vrai. Il faut avant tout obéir aux lois qu’impose la matière avant de pouvoir en faire ce que l’on veut. Être bon techniquement, habile, véloce, réactif, compréhensif et réfléchi, tout cela représente beaucoup d’obstacles potentiels dans une discipline ou chaque erreur peut être fatale pour l’œuvre que l’on crée.

Cependant je sais déjà comment remédier à cela, il faut continuer de travailler, s’entraîner et persévérer pour faire en sorte que chaque action physique devienne un réflexe et laisser plus de place dans ses pensées pour l’analyse et la compréhension face à chaque situation afin de mieux réagir, le plus intelligemment possible, le plus rapidement possible… Voilà un résumé qui décortique un peu ce que l’on peut appeler “devenir meilleur” dans le monde du verre soufflé.

Quelles sont tes plus grandes sources d’inspiration ?

Mes plus grandes sources d’inspirations sont généralement les réactions philosophiques qui s’enclenchent dans mes pensées face à certaines situations.

Par exemple, ma pièce artistique de finissant représentait un concept difficilement palpable, le fait qu’une création artistique vient d’abord du cœur puis est retravaillée par l’esprit avant d’être mise au monde par la main. Le but était ici de mettre en avant un phénomène très beau que produit l’être humain. Nous avons tendance à l’oublier dans notre société de surconsommation mais il est pourtant bien présent, depuis toujours, et constitue selon moi l’origine de la beauté du monde transformé par les humains.

La série “vases à doubles visages” sur laquelle je travaille depuis plusieurs mois a pour vocation de mettre en avant le fait que malgré les différences entre les humains, nous venons tous d’une même source, aussi lointaine soit elle. C’est la manière que j’ai trouvé pour tenter de faire tomber les barrières qui se créent entre des personnes ou groupes de personnes. Selon moi, il ne faut jamais oublier que les gens qui nous entourent sont, qu’on le veuille ou non, nos semblables.

Il m’est souvent difficile de mettre des mots clairs sur mes “sources d’inspirations” car j’ai l’impression de prendre le problème à l’envers. Ce dont je suis sûr c’est que j’ai envie d’apporter quelque chose de positif en ce monde moderne que je trouve trop souvent cruel et complexe.

Transmettre des concepts qui nous tiennent vers le haut à travers la beauté de cette matière exceptionnelle qu’est le verre… Je ne sais pas si l’on peut considérer cela comme une source d’inspiration, cependant c’est ce qui m’anime lorsque je crée des œuvres artistiques.

Quels sont les objectifs que tu aimerais atteindre d’ici cinq ans ?

Je ne planifie pas vraiment la vie que je vais vivre auprès de la matière verre car j’ai compris avec le temps que ne pas avoir de plan concret laisse plus de place à des opportunités. Cependant, j’ai tout de même quelques objectifs.

Le premier est l’excellence technique, continuer de travailler sans relâche afin de progresser mais aussi voyager chez d’autres verriers pour découvrir ce qu’ils auraient éventuellement à m’enseigner ou simplement échanger avec eux pour comprendre leur vision du verre.

Mon second objectif est de continuer à créer des œuvres artistiques, la production d’objets fonctionnels me plaît énormément mais j’éprouve un plus grand sentiment d’accomplissement lorsque je mets au monde une œuvre artistique qui véhicule mes idées.

Mon troisième objectif, en lien avec le second, serait d’exposer de plus en plus mes créations conceptuelles, car si mettre au monde des œuvres est un accomplissement, les exposer, les divulguer au monde et savoir qu’elles sont appréciées est un véritable honneur que tout artiste ne se refuserait pas.

Mon dernier objectif à atteindre d’ici cinq ans serait d’avoir un niveau technique considérable couplé à une notoriété suffisante pour que j’estime avoir assez de cartes en main pour ouvrir mon propre atelier de verre soufflé et entamer ainsi une nouvelle grande aventure avec le verre.

Toutes les photographies ont été prises sur argentique par la photographe Prune Paycha (www.prunepaycha.com/)